Mais la Mairie de Paris compte peut-être régler définitivement le problème en supprimant l’appel aux interprètes…
C’est un modèle de réussite que beaucoup de bibliothèques en France admirent : l'existence depuis plus d’une dizaine d’années au sein du réseau parisien de cinq « pôles sourds » (les bibliothèques Canopée, Chaptal, Fessard, Malraux et Saint-Eloi), lesquels intègrent une dizaine de collègues sourds. Signe de cette vitalité : des formations en LSF (Langue des Signes Française) sont accordées aux agents, et des interprètes sont régulièrement sollicités, en particulier pour les réunions d’équipe ou des formations. Mais ça c’était avant…
En effet, la structure prestataire du marché qui proposait ces interprètes a déposé le bilan il y a quelques mois et la Ville a dû faire appel dans l’urgence à d’autres sociétés. Sauf qu'il y a peu la Mairie de Paris a voulu une nouvelle fois être dans une « démarche innovante » et a décidé de proposer aux agents sourds d’expérimenter Tadéo, un « service de Transcription Instantanée de la Parole et de visio-interprétation LSF à distance et en temps réel ». A l’origine, cette technologie était surtout destinée à faciliter les conversations pour la téléphonie des bibliothécaires sourds. Et « il n’a pas été question à ce moment-là de l’étendre à d’autres situations » ont d’ailleurs rappelé les équipes dans une lettre officielle à l’administration parisienne. Problème : la municipalité veut désormais étendre Tadéo en vue de remplacer les interprètes, dans les bibliothèques comme dans d’autres services de la Ville... Cacophonie assurée !
Concrètement, une réunion d’équipe se passerait de la manière suivante : sur la table un « micro haut-parleur » et les collègues sourds devant un ordinateur portable. L’interprète à distance serait censé entendre tout ce qui se dit et le traduire en LSF. Et dire à haute voix ce que les sourds signent. Les collègues sourds auraient les yeux fixés sur l’écran. Évidemment, l’interprète ne saurait pas forcément qui vient de parler à haute voix…Bref : pas très pratique tout ça ! Enfin si ça marche... Car d’après les retours de nos collègues utilisateurs, nous savons que sur les trois comptes actuellement ouverts, après seulement une trentaine d’appels passés (dont cinq professionnels...), les problèmes de connexion ont été flagrants. Sans parler d'une mauvaise pixellisation de l’image qui a été constatée pour environ un tiers des appels.
Actuellement, la présence d’un interprète oblige chaque entendant à tenir compte de la présence de collègues sourds et de l’interprète. Les collègues sourds peuvent voir l’ensemble de l’équipe, il y a de l’interaction entre tous-tes. Avec la nouvelle formule souhaitée par la Ville de Paris, les agents sourds devraient de fait restés les yeux rivés à l’écran, et cela signifierait plus d’isolement et de difficulté pour communiquer avec les membres de l’équipe. Sans parler de probables problèmes techniques ou logistiques (Wifi, matériel…). D’abord pour les agents sourds, c’est la probabilité de voir apparaître des risques psychosociaux liés à une forme de discrimination, un isolement accru au travail, une diminution de l’interaction avec les collègues. A cela s’ajoutent les risques liés au travail sur ordinateur, la fatigue visuelle notamment.
« En outre, la présence de l’interprète dans la réunion impose naturellement à chacun une discipline : parler chacun son tour, éviter les apartés... La présence des collègues sourds est de ce fait mieux prise en compte, et leur participation facilitée » précisent les cinq « pôles sourds » dans leur lettre à la direction des affaires culturelles de la Ville de Paris. Pour les équipes, le travail d’inclusion mené ces dix dernières années sera sans aucun doute mis en péril, alors que jusque-là, les agents travaillaient sur un pied d’égalité. Situation absurde alors que la Ville se targue d’être à la pointe de l’inclusion des agents en situation de handicap…
Ainsi, il y a quelques semaines, un collègue sourd n’a eu aucune traduction pour sa journée d’accueil, en présence pourtant de Christophe Girard, l’élu en charge des personnels et ancien adjoint aux Affaires Culturelles : il n’y avait pas d’interprète ! Mais peut-être que la Mairie de Paris compte régler définitivement le problème en supprimant l’appel aux interprètes ? De leur côté, les bibliothécaires des « pôles sourds » ont sollicité un rendez-vous avec la « mission handicap » de la Ville pour que cette dernière revoit sa copie.
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